Ce mois de janvier a été particulièrement riche en émotions, à travers deux cérémonies religieuses majeures : Gena, le Noël éthiopien, et Timqat, l’Epiphanie orthodoxe qui célèbre le baptême de Jésus-Christ dans le Jourdain par saint Jean-Baptiste (timqat ou timqet signifie baptème en amharique).
Focus sur Timqat
L’Epiphanie éthiopienne, qui s’étend sur deux jours (10 et 11 janvier, calendrier éthiopien, soit le 20 et 21 pour nous), réunit tout le monde dans la rue, contrairement à Mesqel qui se fête en en famille. La veille du jour saint, chacune des dix églises ou presque de Debre Tabor, organise sa propre cérémonie : élèves, fidèles, groupes de musique s’élancent dans les rues, les prêtres portant à bout de bras le tabot – réplique de l’Arche d’Alliance. En effet : selon les croyances, l’Arche est conservée et gardée jalousement en Ethiopie.
Les dix arches des dix églises convergent alors vers Agebare, la grande plaine de la ville où elles passeront la nuit (la tradition voulant qu’il s’agisse d’un endroit près d’une étendue d’eau – ce qui n’est pas le cas à Debre Tabor), avant d’être ramenées le lendemain dans l’après-midi au cours d’une deuxième procession tout aussi colorée que la première.
Mais le vrai Timqet se fête à Gondar, sur le site historique des Bains du roi Fasilidas. Le bassin y est rempli pour l’occasion : le jour de l’Epiphanie, des milliers de fidèles se rassemblent là, bien avant l’aurore. Les prêtres aspergent et bénissent la foule ; puis, les participants se jettent à l’eau, plongeant tous dans le bassin, concluant la cérémonie.
Postés au cœur de la ville, nous attendons le passage des tabot. Au loin, les tambours résonnent : venant du Sud, deux arches suivies par une foule bouillonnante descendent l’artère principale. L’une d’elle est issue de l’église Sélassié ; la seconde provient du haut de la montagne, d’Eyesus, l’église la plus ancienne de Debre Tabor. Les gens viennent de très loin pour venir assister à Timqat depuis Eyesus. L’endroit est le lieu de rassemblement majeur lors des grandes fêtes orthodoxes.
Lorsqu’enfin les deux arches arrivent à notre hauteur, nous sommes happés par le monde. Comme il se doit lors des jours saints, la foule porte le blanc : gabi pour les hommes, ce grand châle dont ils s’enveloppent, et qemis robes traditionnelles pour les femmes.
Je n’ai jamais vu Debre Tabor aussi noir de monde. La foule est tout bonnement gigantesque ! Et il ne s’agit que de deux églises ! J’imagine le stade d’Agebare à cet instant : plongeant dans la procession, battant des mains et chantant avec la foule, nous marchons vers la plaine où tous viennent se rassembler. La joie est palpable et le moment est très fort tandis que les voix résonnent à l’unisson. L’asphalte est couvert d’herbe fraîche pour la cérémonie ; des élèves prêtres ont déployé un tapis rouge sur le bitume.
Lorsque nous arrivons enfin sur la plaine, nous nous extirpons un instant de la vague de monde qui nous portait. Par centaines, les fidèles surgissent des quatre coins d’Agebare et se coulent dans la foule. Une estrade a été montée au nord de la plaine, et une statue du baptême de Jésus déployée. Les gens se massent, chantent, suivent les discours religieux prononcés depuis la scène.
A travers la masse, le courant des prêtres est suivi par les fidèles : ils portent les tabot jusqu’à des tentes blanches installées pour l’occasion, afin d’abriter les précieuses arches.
Accompagnée de Getasew, je suis du regard la cérémonie, comprenant une minuscule partie de ce qui se déroule sous mes yeux.
Quand les prêtres prennent la parole et entament leur prêche, nous nous déplaçons à travers la foule immobile.
Agebare est effet coupé en deux, d’une certaine façon. Une partie des gens présents suivent respectueusement les discours, debouts, la main sur la croix kopte qu’ils ont tous autour du cou ; un peu plus loin, enfants et jeunes se sont regroupés en petits groupes. Certains chantent, d’autres dansent, il y a des musiciens qui jouent du tambour et du masenqwo. Curieux, nous nous avançons vers un cercle compact d’hommes : au centre, deux d’entre eux se livrent à des combats aux bâtons de bois et se meuvent avec agilité, échangeant des coups sous les acclamations.
C’est Getasew qui me le souligne : Timqat, en plus d’être une fête religieuse majeure, est aussi un jour de fête tout court ! Les jeunes s’y amusent ; sans compter que Timqat à Debre Tabor est aussi un moment réputé pour trouver mari ou femme !
Le stade d’Agebare, habituellement pris d’assaut par footballers, bétails ou site d’entraînement au permis de conduire, se transforme le jour de l’Epiphanie en grande place de cérémonie religieuse et lieu de rencontres à la fois… voilà qui prête à sourire ! Décidément, houloum yitchalal ! Tout est possible en Ethiopie !
Lorsque le soleil disparait derrière l’horizon, les gens se dispersent et quittons Agebare, nous mêlant à la masse vêtue de blanc.
Le lendemain, véritable jour de l’Epiphanie, la foule est de retour sur la grande plaine de la ville, dès 6h. Le discours des prêtres qui se succèdent sur l’estrade, s’adressant au monde, se poursuivront jusqu’à 10h, soit près de quatre heures de prêche en amharique ! Ayant préféré l’option sommeil, je retrouve la foule dans les rues en début d’après-midi. Fini les longs discours : les tabot réintègrent leurs églises respectives au son des chants, des instruments de musique et les cris de joie des fidèles.
Retrouvant Getasew dans la masse, nous suivons le tabot d’Eyesus. Des centaines de fidèles vêtus de blanc – Getasew lui-même portant son gabi immaculé – s’élancent à la suite des prêtres vers le sommet de la montagne. Nous sommes portés par la foule. Les sentiers de terre battue et rocailles sont pris d’assaut ; jeunes et enfants escaladent courageusement les flancs de rocs, les femmes prennent la route, certaines avce des bébés dans les bras. Nous grimpons jusqu’au sommet, rejoint à mi-chemin par Yohannes, l’un des enfants de Sib Saba Meda que nous connaissons bien.
Enfin, nous arrivons en haut de Eyesus. Le monde se masse face au portail de l’église. Grâce à Getasew, nous arrivons à négocier avec l’un des prêtres pour qu’ils me laissent entrer. En effet, aucun étranger ne peut pénétrer au sein de l’église d’Eyesus – règle absurde fixée par le prêtre principal qui, soit dit en passant, a aussi l’intention de refuser l’entrée aux femmes plus généralement dans le futur (vous voyez le personnage !!).
Heureusement, nous n’avons pas affaire à lui (il m’aurait probablement chasser avec un bâton en hurlant s’il m’avait vu ne serait-ce qu’approcher du portail) et j’obtiens le droit de suivre la cérémonie – dans le compound de l’église cependant, interdiction formelle d’entrer à l’intérieur.
Ravie, je pénètre avec Getasew dans l’enceinte du site religieux. Petite victoire ! L’endroit est très ancien et l’église magnifique, entourée d’arbres centenaires. Nous trouvons une petite place dans l’ombre des arbres et grimpons au sommet d’un mur de pierres pour suivre la cérémonie. Chants, tambours, danses, prêches, je suis en pleine immersion.
Bientôt, le prêtre prend la parole, sa voix augmentée par un micro, et un silence total s’abat sur les alentours. Tout est en amharique et je peine à suivre, glanant quelques mots ci et là. Le prêtre parle, la foule lui répond d’une seule voix, mille murmures se mêlant pour ne former qu’un. La parole est accompagnée de gestes, de prières, d’une coordination si totale que c’en est très impressionnant. Je suis complètement dépassée par ce qui se passe mais la puissance du moment m’atteint. Un sentiment très fort, d’humilité et de respect.
Tous ces gens réunis ! En parfaite osmose !
Nous redescendons de la montagne à la lueur de la lune, les dernières clameurs de Timqat s’évanouissant dans la nuit.
A quand la prochaine fête orthodoxe de grande ampleur ?
Je me répète sans doute, mais tes articles sont vraiment passionnants. Celui-ci me rappelle les processions d’Alcalá, et la Semana Santa de Sevilla, à laquelle je vais avoir l’honneur d’assister d’ici peu, aura probablement le même impact sur moi. Je partage ce sentiment d’humilité que tu évoques, être témoin de la foi des autres peut être touchant, quand bien même on ne la partage pas.
Oui, c’était un moment très fort, je ne m’attendais pas à vivre cela. Très impressionnant !