Au nombre de trois, elles montent la garde au large de Kourou. L’histoire les a affublées de nombreux noms… Retour historique sur l’implantation d’un enfer au paradis.
La Guyane a longtemps résisté à toute tentative d’occupation, mises à mal par les conditions de vie difficiles sur place, alliant fièvre jaune, mauvais rapports avec les peuples Amérindiens et dissensions au sein même des colonies.
En 1763 cependant, la France décide de frapper un grand coup pour bâtir une colonie européenne d’agriculteurs dans l’ouest : c’est l’expédition de Kourou. Près de 12 000 colons débarqueront entre 1763 et 1765 ! Cependant, paludisme, fièvre jaune et typhoïde déciment la nouvelle colonie. Seuls 1800 d’entre eux choisiront de rester sur les terres du littoral, trouvant refuge sur les trois îles au large de Kourou, rebaptisées îles du Salut après qu’ils aient retrouvé la santé. Sur ces minuscules îlots de terre entourés par des courants violents, plus un moustique : c’en était fini des maladies qui décimaient les colonies. Les trois îles devinrent alors le refuge des survivants. Un salut éphémère…
Bien plus tard (1793), la Première République y construit une forteresse pour accueillir les premiers déportés politiques : les îles prennent alors le nom de triangle maudit.
Finalement, c’est en 1854 que l’administration pénitentiaire marque à jamais leur histoire en y instaurant l’un des bagnes les plus sévères au monde – mais l’un des moins durs de Guyane. Près de 70 000 prisonniers y seront envoyés !
L’archipel, composé de trois îles, réunit en effet toutes les conditions nécessaires : petit, il est facilement surveillé, bénéficie d’un climat sec et ventilé donc très salubre, et est entouré de requins freinant toute tentative d’évasion… les squales étant attirés par le sang déversé dans la mer depuis l’abattoir situé sur l’une des îles de l’archipel.
La plus grande île, l’île Royale, représentait l’administration, accueillait les forçats et les répartissaient par classes. L’île Saint-Joseph accueillait les repris de justice et les condamnés assignés à résidence perpétuelle : c’était en son sein que les « durs à cuire » étaient envoyés en réclusion. Quant à l’île du Diable, c’était l’île des déportés politiques.
Aujourd’hui, l’archipel est à la propriété du CNES, l’agence spatiale française, les îles étant placées sur la trajectoire des fusées. A noter qu’elles sont toujours évacuées 24h avant chaque lancement.
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Je me suis rendue sur l’archipel, accompagnée de Julie et Fanny (étrange coïncidence^^), deux amies infirmières de ma coloc… que j’avais rencontrées la veille du départ ! Une discussion, le temps de sympathiser et me voilà intégrée à probablement l’une des plus belles excursions touristiques possibles en Guyane : la visite des Iles du Salut !
Nous avons quitté Cayenne à 6h en voiture pour rejoindre Kourou. A l’embarcadère nous attend La Hulotte, le catamaran au bord duquel nous allons rejoindre l’archipel.
Nous quittons le port aux alentours de 8h et remontons le fleuve Kourou jusqu’à son embouchure. Au-dessus de nous, un ciel sans nuage : un sacré coup de chance, en pleine saison des pluies !
Après 1h30 de navigation en haute mer, nous approchons du triangle maudit. Premier choc : 17km nous sépare dorénavant de Kourou et… l’eau est redevenue bleue ! C’en est fini des alluvions qui lui donne sa couleur chocolat au lait le long des côtes – on se croirait presque aux Antilles !
Le catamaran effectue le tour de l’île Royale avant de nous débarquer au ponton principal, au niveau de la baie des Cocotiers. Nous avons quatre heures devant nous pour la découvrir ; cet après-midi, nous passerons à la visite de l’île Saint-Joseph. L’île du Diable, quant à elle, reste intouchable : les courants qui l’entourent sont trop violents pour espérer s’approcher.
Deux skippers nous ont accompagnés à bord de La Hulotte : l’un d’eux, Tony, est un ami de Julie et Fanny et nous propose de nous faire une visite perso de l’île Royale. C’est parti !
Notre guide connait par cœur l’histoire du bagne et le passé des différents bâtiments construits sur l’île. Récit en photo de la visite.
A noter que l’église réservée aux gardiens et à leurs familles ; les forçats n’ont en aucun cas le droit au culte.
Concernant l’hôpital, l’île Royale est le seul établissement pénitentiaire à en bénéficier hôpital, en plus de celui de Saint-Laurent-du-Maroni.
Un peu plus à l’est sur le plateau se trouve le quartier des condamnés à mort. Une partie est en ruines, l’autre est bien conservée. Les forçats étaient enfermés dans des cellules, d’une taille de 3m².
Les exécutions se faisaient par tirage au sort.
C’est de ce rocher que les gardiens jetaient les corps des bagnards à la mer.
(Une image qu’on pourra juger de mauvais goût, je consens)
Vers 14h30, nous débarquons en zodiaque sur le ponton de l’île Saint-Joseph. Cette fois, l’île est plus petite : nous nous enfonçons en son cœur. Au sommet, perdues dans la forêt et grignotées par la végétation se situent les ruines bien conservées de l’ancienne forteresse qui accueillaient les forçats jugés difficiles. Surveillance continue, obligation de silence et isolement : ainsi était la réclusion cellulaire qui les attendait, allant de six mois pour certains… et à cinq ans pour d’autres.
Les couloirs du bagne ont été envahis par les lianes qu’il faut écarter de la main pour espérer passer ; dans les cellules, arbres et plantes grimpantes se sont développés de façon anarchique et un gigantesque réseau de racines a déployé ses tentacules sous nos pieds, menaçant les fondations. La nature a repris ses droits…
Dans la forteresse, un labyrinthe de cellules : les cachots qui accueillaient les forçats condamnés pour faute grave. D’une taille de 2m², souvent privé du moindre rayon de soleil, c’est dans un cachot semblable que le célèbre Papillon passa deux ans.
Nous achevons la visite par un tour de l’île. Cocotiers, eau bleue et plage … Un décor paradisiaque, à des lieues de l’enfer qu’ont vécu les bagnards. Nous découvrons même une plage faite à première vue de sable blanc ; il s’agit en réalité de milliers de morceaux de coquillages brisés qui craquent sous nos pas.
Le tour de l’île terminé, nous rejoignons le catamaran à la nage puis reprenons la direction de Kourou. Il est 17h quand nous quittons finalement le bateau. Probablement l’une des plus belles excursions faites depuis mon arrivée !
Mais l’aventure ne s’arrête pas là… Julie et Fanny ayant l’intention de passer trois semaines de vacances en Guyane pour visiter le département, je me suis greffée à une autre excursion de leur programme de folie : quatre jours de rando à Saül, un petit village perdu au cœur du département.
Bientôt sur vos écrans : Into the wild… ou comment survivre dans la forêt amazonienne avec un sac-à-dos et un hamac !
Super excursion ! Le quartier des condamnés à mort me rappelle la visite de la prison de Fremantle que j’ai faite en Australie – mis à part la végétation envahissante et le côté insulaire de la prison bien sûr.
C’est fou ce contraste entre la beauté des paysages et « l’activité assez cruelle » de ces îles…
Euh, juste une remarque ! Tu dis que les îles sont entourées de requins (du moins à l’époque, mais je suppose que c’est encore le cas) et vous vous baignez comme ça ! J’espère que vous aviez toujours quelqu’un qui surveillait l’eau. Bon les conditions étaient très bonnes, l’eau avait l’air claire et le soleil dépourvu de nuages donc ça va. Mais faîtes attention, quand le ciel est couvert et que la visibilité de l’eau est faible, pas de baignade svp.
Merci beaucoup pour ce récit, j’ai l’impression de voir la Réunion par moments. J’attends la prochaine excursion ou stage de survie avec impatience !
Ps : Regarde Man vs Wild, les émissions qui ont eu lieu dans les zones tropicales et tu auras au moins la théorie pour la survie :p
Aaaah bonne remarque, c’est vrai que j’en ai parlé vite : à l’époque, l’abattoir sur l’île Royale déversait une quantité assez importante de sang pour attirer les requins et les squales avaient élu domicile autour de l’archipel. Aujourd’hui, plus d’abattoir donc plus de sang : les bêtes sont retournées au large et il n’y a plus de risque de croiser un aileron autour des îles !
Aah d’accord ! Merci, je suis un peu plus rassurée 😉 Désolée, je deviens un petit peu parano… Mais on est jamais trop prudent avec l’océan.
Merci Bourrique, c’est vraiment passionnant! J’ai appris plein de choses, et même si ça m’écœure de constater encore une fois ce dont les êtres humains sont capables, il est important d’en garder la mémoire. Des cellules de 2 ou 3 m²…
Bisous.